Cette « Pépite de Chroniques » est extraite du « Bulletin de la Société Scientifique et Littéraire » n°184 – juillet à décembre 1943, dont la thématique était : Vie de l’homme en Haute Provence. Rédigés par Marcel Provence, les textes de ce Bulletin décrivent les rites et traditions liés aux mariages.
En première page, un encart indique : » Les membres de la Société reçoivent en même temps les deux numéros de l’année 1943 (N° 183 et 184). Ainsi, malgré les difficultés actuelles, La Société Scientifique et Littéraire a tenu ses engagements. Mais plutôt que d’augmenter en 1944 le montant de la cotisation pour le mettre en rapport avec les nouveaux tarifs d’impression et le prix du papier, le Conseil d’Administration de la Société a décidé de ne faire paraître qu’un seul numéro mais de le rendre aussi important que le permettent les réductions imposées par les décrets à nos périodiques »
II Les fiançailles
Déclarations symboliques
Extraits des pages 320 à 325 :
» Pendant les nuits de mai, les fleurs parlent. Du moins, les amoureux l’assurent. Par des fleurs symboliques, on déclarait son amour. L’amoureux confectionnait un bouquet de fleurs et le portait sous les fenêtres de sa bien-aimée. La belle apparaissait à la fenêtre. Le galant déclamait un distique ou un quatrain.(….)
Un des nombreux mérites du fier gavot que fut Damase Arbaud, le maire de Manosque, précurseur au XIXème siècle des folkloristes du haut pays, est d’avoir sauvé treize de ces quatrains et un sixain. (….)
Comme il y a plus de gens qui savent le français que de bonnes gens qui entendent le provençal, je donnerai la traduction d’abord. On suivra mieux ensuite le texte original.
Belle je vous offre le thym; – vous savez qu’il est beau à toute heure, – encore plus quand il est en fleur. – Je vous aimerai toute ma vie.
Le thym dit l’amour durable.
Bello, vous represente la faligouro
Sabès qu’ès bello à tout’ouro
Encaro mai quand ès flourido;
Vous amarai touto ma vido.
Belle, je vous présente le bouton d’or, – vous êtes belle comme un trésor, – Comme un trésor de gentillesse; – Je vous prendrais bien volontiers pour maîtresse.
Le bouton d’or dit l’amour. Le galant n’y va pas par quatre chemins.
Belle, vous represente lou boutoun d’or,
N’en sias bello comm’un tresor
Coum un tresor de gentilesso
Vous prendrieu ben per ma mestresso.
Belle, je vous présente le faine du rouvre, – à vous qui m’avez trop longtemps fait courir. – J’ai tant couru et courrai, – belle, qu’à la fin je vous aurai.
Le faine du chêne dit aussi l’amour, mais la belle sait l’art de faire courir les galants.
Bello, vous represente la pampo de roure,
Que trop loungtemps m’avès fach courre,
Ai tant couru et courirai
Belle, qu’à la fin vous aurai.
Belle, je vous présente le basilic, – qui est un arbre bien petit, – mais moi, je serai fier, pauvret, – si vous étiez la bru de mon père.
on sait qu’à Moustiers, en mai, sur une bigue, une tige de basilic était offerte sur la margelle de la fenêtre par le soupirant. Le basilic est plante d’amour, d’amour bien honnête car le garçon qui l’offre pense à la joie de son père.
Bello, vous represente lou baricot,
Que n’ès un arbre ben pichot,
Mai, ieou, serieu bien fier, pecaire,
S’érias la noro de moun paire.
Belle, je vous présente la violette, – vous êtes dans mon cœur, toute seulette; – mais pour moi il serait douloureux si dans votre cœur nous étions deux.
La violette dit la modestie et le soupir de l’amoureux qui veut être seul aimé.
Bello, vous represente la viouleto,
Sias dins moun cor toute souleto;
Mai per ieu sarié doulourous
Se dins voste cor n’i avié dous.
La menthe sauvage est fleur des campagnes et des montagnes. Elle ne doit pas faire cependant préférer un pâtre car le pâtre sent l’onguent, l’onguent d’huile de genièvre, d’oli de cade, remède contre les maladies des bêtes à laine. (…)
Belle, je vous présente la menthe, – prenez moi, ne prenez pas un berger – qui sent l’onguent, – prenez moi, moi qui ne sent rien.
Bello, vous represente lou mentastre
Prenès-mé, ieu, prengues pas’n pastre,
Un pastre senté l’enguent;
Prénès me ieou que sente ren.
Je vous présente le romarin, – que j’avais cueilli pour vous le matin, – et que j’avais porté le soir, – pour vous prouver que je vous aimais. – Mais, belle, si vous ne m’aimez pas, – rendez-moi mon gai romarin.
Le romarin est précis ; il dit la plainte mais aussi il sait se reprendre. C’est le seul couplet de six vers. Il devait être chanté sur un ton dolent, sauf au denier vers.
Vous represente lou roumanieu,
Que lou matin vous lou culhieu,
E que lou souar vous lou pourtavi
Per vous prouvar que vous amavi;
Mai, bello, se m’amas pas, ieu,
Rendes-me moun gai roumanieu.
Belle, je vous présente le pampre de vigne, – Qui lorsqu’il vente fait le revêche, – Ils font de même vos amours, – belle, quand je suis auprès de vous.
L’image est tirée de la vie rurale, en pays vigneron et venteux. C’est bien un couplet de Pierrevert, de Manosque ou de Riez. Le pampre est un bon symbole. L’amoureux se lamente.
Bello, vous represente la pampo de vigno,
Que quand fai vent, elo reguino;
Fan trop ensin vouestres amour,
Bello, quand sieu auprès de vous.
Belle, je vous présente la clématite, – Il y a cinq coquins à votre porte, – Il y en a d’ici; il y en a de là. – Allez au diable cajoler !
Ça tourne mal. Cette belle a trop de soupirants. Elle ressemble à la clématite qui lance ses lianes de tous côtés. (…)
Bello, vous represente la redorto,
L’i a cinq couquins à vouestro porto,
N’i a d’eici, n’i a d’eila,
Anas au diable carigna !
Je vous présente l’ortie ! – Belle, vous ne serez plus mon amie, – Je vois que vous avez trop de pointes. – Mariez-vous avec un chardon.
Ça ne va plus du tout. l’ortie dit la rupture.
Ieu vous presente l’ourtigo,
Bello, sares plus moun amigo,
Vese qu’aves trop de pounchoun,
Maridas vous em’un cardoun !
Belle, je vous présente le champignon, – Vous avez un peu trop grosse gueule, – Rien que pour la bourrer de pain, – vous me mangeriez tout mon gain !
Ça s’est bien gâté. Etre comparée à un champignon après avoir été assimilée au thym, au romarin, au bouton d’or, à la faine de chêne, au basilic, à la violette, à la menthe.
Bello, vous represente la borigoulo,
Aves un pau trop grosse gouro,
Rèn que per la bourrar de pan,
Me mangarias tout moun gazan.
Belle, je vous présente le chardon-aux-ânes. – Vous semblez une cavale ébahie. – Vous coûteriez plus à éveiller – Qu’un mauvais âne à entretenir.
c’est affreux. La comparaison avec l’âne est le comble de la dérision dans le répertoire provençal. (….)
Ieu, vous presente, bello, la chaussido.
Semblas uno rosso esbahido;
Coustarias mai à reveni
Qu’un marrit ai ‘ntre-teni.
Belle, je vous présente le choux, – qui lorsqu’il vente, devient altéré, – ainsi fait votre amoureux, – ici, à votre porte, hélas !
Eh ! oui, le pauvre, il chante comme en vain, prenant la soif. L’expression accampa set est typiquement provençale.
Bello, vous represente lou caulet
Que quand fai vent accampo set,
Ansin fai vouestre caregnaire
Eici, à vouestro porto, pecaire.
Belle, celui qui vous a chanté, – demain matin vous le dira, – et s’il ne peut pas le dire, – du plus beau loin, il se mettra à rire.
Demain, le chanteur se fera connaître, et si cela ne lui est pas possible, eh ! du plus loin, il rira. Vous aussi, bien sûr, car vous n’êtes pas cruelle et vous l’aurez reconnu, bien entendu.
Bello, aqueu que vous a canta,
Deman matin vous lou dira
e se vous lou poudiè pas dire,
Dou beu plus luenc se mettr’à rire.
Tout finit bien, il n’est plus question d’ortie, de champignon, de clématite, de pampre de vigne, ni même de choux. La belle aura bien compris et se laissera fléchir. Il n’est plus que de crier « Belle, vous m’avez entendu ? », de s’enfuir et d’attendre le matin pour se faire connaître ou pour rire. »
(….)